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Handi voyage en solo : « surtout ne pas renoncer à ses rêves » – Interview de Audrey Barbaud

par Adeline
Publié Mis à jour le

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Après le nomadisme et le voyage en solo en PVT, nous abordons aujourd’hui le handi voyage en solo avec Audrey Barbaud du blog Roulettes et Sac à dos.

Quand j’ai lancé cette série d’interviews de voyageuse en solo, il était clair qu’Audrey ferait partie de ma sélection. Jeune fille positive, au caractère bien trempé et au sourire ravageur, rien ne l’arrête dans son envie de découvrir le monde, surtout pas son fauteuil roulant ! Sur son blog elle aborde sa passion pour le voyage et éduque sur le handi voyage en solo. Ses principaux messages : croire en ses rêves et lutter contre les préjugés. Faisons plus ample connaissance.

Audrey Barbaud - Handi voyage en solo

Bonjour Audrey, pourrais-tu te présenter ? Qui es-tu ? D’où viens-tu ? Quel est ton profil de voyageuse solo ?

Je suis une Bourguignonne qui vient de s’installer en Bretagne par amour de la mer. Une rêveuse qui essaie de suivre ses envies plutôt que de les repousser à plus tard. Je voyage en solo depuis bientôt 3 ans. Mon indispensable de voyage est un fauteuil roulant électrique. C’est lui qui m’offre une liberté de mouvement, mais c’est également un frein quand il y a un manque d’accessibilité.

J’ai quitté mon précédent job afin de me consacrer à l’écriture et à la communication de l’handivoyage sur mon blog.

Quel genre de fille étais-tu avant ton premier voyage en solo ?

Une fille qui aimait avoir plusieurs casquettes et faire une multitude de choses à la fois : aller à la fac, avoir un job, m’impliquer dans différentes associations, suivre des cours de dessin, voir mes amis… Un planning chargé et un désordre apparent qui m’a permis d’évoluer dans différents milieux et de mieux me connaître.

Peux-tu nous parler de ce premier voyage et comment l’idée t’est venue de partir seule ?

L’élément déclencheur de mon premier voyage en solo, ça a été une histoire d’amour compliquée et difficile à gérer. Je n’en pouvais plus. Partir n’était pas une envie, mais une nécessité. Alors au lieu de me morfondre dans mon coin, je me suis écoutée : de quoi avais-je vraiment envie/besoin pour me remettre sur pieds ? Changer d’air, quitter ce quotidien qui ne me convenait pas, et surtout penser à moi, mon bien-être. Je trouve que tout est plus simple quand on sait s’écouter. Cela a été je pense, ma première leçon de voyage en solo.

En quelques heures, mon billet d’Eurostar était acheté et ma valise bouclée. Mon choix s’est tout de suite porté sur le Royaume-Uni : facilement accessible depuis la France, dépaysant (ne serait-ce que par le changement linguistique), et puis j’avais déjà des repères à Londres d’un précédent voyage. C’était rassurant, confortable, et je savais que mes déambulations ne seraient pas entravées par un manque d’accessibilité en fauteuil roulant.

Quels ont été tes sentiments avant et pendant ce voyage ?

Il n’y a pas vraiment eu de phase « d’avant » voyage tant il était imprévu. Je suis juste partie avec mon billet de train en poche et une réservation pour les 2-3 premières nuits en auberge de jeunesse. Pas de grosse interrogation sur ce voyage ni de doute. Je savais juste qu’il fallait que je le fasse.

Ce sentiment d’avoir fait le bon choix a immédiatement été confirmé, et même amplifié, dès mon arrivée. C’était une évidence. Pas parce que j’avais « fui » mes soucis – ne soyons pas dupes, on embarque nos soucis dans nos bagages, et/ou on les retrouve à notre retour – mais parce que je m’étais écoutée. Et c’était là toute la différence. Une sorte de quiétude et d’apaisement m’ont envahie. Je retrouvais l’équilibre.

Quelle a été la réaction de tes parents lorsque tu leur a annoncé que tu partais seule ? Qu’as-tu fait pour les rassurer ?

Ma foi, ils n’y étaient pas plus préparés que moi ! Ça a du ressembler à : « Oui allô bonjour, ça va ? Je voulais vous dire, je pars à Londres demain. Oui oui demain. Oui toute seule. Non mais ça va aller, ne vous inquiétez pas. »

Ils étaient surpris, et inquiets, bien sûr. La petite dernière qui part à l’improviste, toute seule, et avec des roulettes, ce n’est pas ultra rassurant.

En revanche, le fait que la destination soit proche a dû les apaiser. Je suis sûre qu’ils étaient prêts à enfiler leur costume de super héros et à rappliquer au moindre pépin.

Et puis je ne partais pas dans l’inconnu : ma première expérience à Londres s’était très bien passée, il n’y avait aucune raison que ce ne soit pas à nouveau le cas.

Que t’es-tu dit au retour de ce premier voyage en solo ?

Je me suis dit que j’allais repartir. J’appréciais cette nouvelle liberté et je voulais me l’approprier totalement. Un nouveau champ des possibles venait de s’ouvrir à moi, et il semblait infini. J’ai toujours aimé apprendre, découvrir, rencontrer de nouvelles têtes, mais aussi être remuée, relever des défis, et me dépasser. Il me manquait juste un prétexte pour franchir le pas. Mon équilibre existe dans le mouvement.

Ce voyage a suscité de nouvelles envies, où es-tu allée par la suite ?

Au printemps suivant, je suis partie faire un road-trip breton ! Ça ne fait certes pas très exotique, mais comme je suis convaincue qu’on peut s’émerveiller au coin de sa rue, j’ai suivi cette envie. C’était sans doute le signe annonciateur de mon emménagement dans ces terres… En tout cas, j’y ai découvert le plaisir de voyager au volant. Depuis, j’équipe ma voiture d’une couchette l’été, pour vadrouiller avec encore plus de liberté. Même les « petits » voyages ont de l’importance…

Après ce fut l’Espagne et Barcelone. Premier voyage en avion, premier pays que je découvrais seule sans repères au préalable.

Quelques mois après je m’envolais pour trois semaines aux États-Unis, sur la côte californienne, l’Arizona et le Nevada. Un voyage de découverte de soi et des autres. Une claque énorme de « Wouha !!! Je suis tellement bien sur la route, tellement moi !  » Un genre de révélation.

S’en sont suivis différents séjours près de ma Bourgogne natale et dans le sud de la France, avant de partir en Guadeloupe à l’automne dernier pour l’arrivée de la Route du Rhum.

Handi voyage en solo - Etats-unis Audrey Barbaud

Quels sont les critères importants pour toi dans le choix d’une destination ? et a contrario ceux qui te sont totalement rédhibitoires ?

C’est un peu délicat de répondre à cette question, car je suis en pleine « mutation ». Il y a quelques temps, j’aurais répondu que le critère de l’accessibilité pour mon fauteuil roulant rentre énormément en compte, et qu’il est donc rédhibitoire pour bon nombre de pays… Et même si c’est bien sûr toujours le cas, je crois que j’ai maintenant envie de me risquer dans des destinations qui ne sont pas forcément encore très aménagées. Je suis curieuse d’aller un peu plus loin et de lever une autre barrière. Ou du moins, d’essayer. Car si je dois me limiter aux pays qui sont complètement prévus et pensés pour qu’une personne avec un fauteuil roulant électrique de 130 kg puisse circuler seule et en toute autonomie,  je serai très très limitée…

Quels préparatifs tes voyages nécessitent-ils ? Comment sais-tu si une destination est « handi friendly » ou pas ?

Même si je me sens un peu plus l’âme d’une aventurière qu’à mes débuts, j’essaie toujours d’avoir un aperçu d’au moins deux éléments quand je prépare un voyage : le transport et le logement. À quoi bon aller à l’autre bout du monde si ce n’est que pour en apercevoir un aéroport, faute d’aménagement à l’extérieur ? C’est d’ailleurs ce manque d’aménagement et de communication qui ont failli me faire annuler mon voyage en Guadeloupe, qui s’est finalement très bien passé.

Concrètement, je fais des recherches sur internet, sur des sites français et anglais, pour me faire une idée de l’accessibilité. Je sens rapidement si la destination est « handi friendly » ou pas. Si on communique sur l’accessibilité, c’est bon signe. S’il faut fouiner pendant des heures, de forum en forum pour trouver la moindre information, c’est moins engageant. Aux États-Unis par exemple, les parcs naturels communiquent très bien sur les dispositifs qui existent : guides détaillés, cartes, signalétiques, tout est mis en œuvre pour préparer sa visite quand on a un problème de mobilité. Et une fois sur place, il n’y a pas de mauvaises surprises.

Quels sont les principaux freins au voyage en solo en fauteuil roulant ? Du moyen de transport aux logements, j’imagine qu’il y en a plein.

Si on rentre un peu plus dans le détail, les préparatifs me demandent du temps et de l’organisation. Il faut souvent réserver à l’avance le moyen de transport et l’assistance qui va avec, que ce soit pour prendre un avion, un train avec la SNCF, ou encore un bus comme le Greyhound. C’est fastidieux. Et c’est surtout dur d’être « flexible » quand tout doit être réservé en amont. De même, pour être sûre d’avoir une chambre accessible ; comme ce n’est pas forcément monnaie courante, et que le prix est plus élevé que la moyenne, mieux vaut réserver ses nuits, par sécurité et souci d’économie.

Bref, les préparatifs sont généralement chronophages et par moments un peu désespérants. Je suis parfois contrainte de faire une croix sur certaines choses que je voulais voir ou faire, par manque d’accessibilité.

Dernièrement tu t’es lancé un nouveau défi : celui de faire de la voile. Tu viens même de déménager en Bretagne pour vivre à fond cette nouvelle passion. Raconte-nous cette formidable histoire

Mon handicap m’a toujours éloignée du milieu sportif. À l’école, j’ai toujours été dispensée. Rien n’était adapté pour moi. J’étais à l’écart de mes camarades. Mais il y a un an, j’ai participé à une conférence sur le handicap et il y a eu une sorte de déclic. J’ai appris qu’énormément de dispositifs existaient pour permettre aux personnes en situation de handicap d’avoir une pratique sportive, et jusque là je l’ignorais ! Alors comme la voile m’a toujours fascinée, j’ai essayé, et le moins que l’on puisse dire c’est que j’ai tout de suite accroché ! En quelques mois à peine, je suis passée de la découverte totale de ce milieu à être reporter pour un skipper sur la Route du Rhum-Destination Guadeloupe, et maintenant j’essaie de relancer une section handivoile dans le Golfe du Morbihan ! Je crois qu’on peut dire que c’est une très belle histoire !

Handi voyage en solo - audrey barbaud et la voile

Que dirais-tu à la fille que tu étais avant ces voyages en solo ?

Je lui dirais qu’il faut qu’elle croie en elle. Se donner les moyens de suivre ses envies et de réaliser ses rêves est sans aucun doute l’une des meilleures choses que l’on puisse faire de sa vie. S’épanouir et s’émerveiller nous rend meilleurs. Je lui dirais aussi que partir n’est pas si compliqué, et qu’elle a plus de ressources qu’elle ne le pense.

Que dirais-tu à une fille en fauteuil qui a ce rêve de partir en solo mais qui n’ose pas franchir le pas ?

Que ce soit la découverte, l’aventure, l’épanouissement…tous les aspects du voyage sont bel et bien là, et ces même si on est une fille, et même si on est en fauteuil. Alors pourquoi s’en priver ? Certes, il y aura des galères, mais pas plus qu’au quotidien, surtout si on se prépare à l’avance. Pour un premier voyage en solo, autant partir dans un pays bien adapté en fauteuil. Cela permet d’avoir l’esprit plus tranquille, et de profiter pleinement du plaisir du voyage en solo.

Quel(le)s sont ou ont été tes inspiratrices/inspirateurs ?

Émeline et Jérôme de Our trip is your trip sont les premiers à m’avoir confirmé que voyager avec un fauteuil roulant est possible, notamment avec leur tour du monde en 80 jours.

Jean-Pierre Brouillaud, qui tient le blog L’illusion du handicap, a toute mon admiration. J’ai eu le plaisir de rencontrer ce grand voyageur aveugle il y a peu, et ses récits d’aventures sont juste incroyables ! Le film Deux hommes, un regard, qu’il a tourné avec Lilian Vézin autour du voyage et de la différence, va d’ailleurs sortir prochainement.

Pour ce qui concerne plus particulièrement le voyage solo au féminin, il y a Corinne de Vie Nomade, qui a cette facilité à m’embarquer avec elle par la puissance de ses mots. Et il y a toi Adeline, avec notamment ta « Lettre à une aventurière à la recherche d’un compagnon de voyage ». Le moins que je puisse dire, c’est que cela motive à partir !

Une citation qui t’accompagne au long de ta vie, de tes voyages ?

Pas particulièrement, à vrai dire. Je me reconnais dans certaines d’entres elles, mais je ne les retiens pas…

Une chose à ajouter sur le handi voyage en solo que nous n’avons pas abordée dans cette interview et qui te tient à cœur ?

Juste répéter encore et encore que voyager avec un handicap est possible. Tout n’est certes pas simple et il faut parfois savoir s’adapter, mais rien n’est impossible. Il ne faut surtout pas renoncer à ses rêves.

Si vous avez des questions à poser à Audrey, n’hésitez pas à vous exprimer dans les commentaires ou à lui écrire via son blog ou les réseaux sociaux.

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Billets à lire sur le blog d’Audrey :

Handivoyage : se battre contre les préjugés et la mécanique

Vous pouvez aussi retrouver toute l’actualité d’Audrey sur ses comptes Facebook et Twitter.

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7 commentaire

Madinelle dimanche 12 avril 2015 - 19:13

Super témoignage! Il témoigne d’un fort courage et d’un sacré tempérament j’en suis sûre!
çà me conforte encore dans l’idée de voyager seule malgré les préjugés ou les critiques de mon entourage.
Tout est dans la tête! Le voyage solo m’a beaucoup aidé dans mon épanouissement!

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Capitaine Rémi lundi 13 avril 2015 - 05:41

Chapeau bas, elle part quand même avec deux handicaps : être en fauteuil et être une fille 😉

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Adeline lundi 13 avril 2015 - 06:07

Et ben c’est pas sexiste du tout cette petite réflexion dis-moi !

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Capitaine Rémi lundi 13 avril 2015 - 12:33

Ceci était évidemment une blague !

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Adeline lundi 13 avril 2015 - 18:48

j’ai bien compris 🙂

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Elsa mardi 9 juin 2015 - 08:24

Je reste sans voix. Qu’elle force de caractère cette demoiselle doit avoir!!!!! magnifique

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Melani lundi 15 juin 2015 - 09:29

Belle leçon de courage, bravo !

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